Miss La La, la trapéziste défiant la mort qui a fasciné Edgar Degas


Ce spectacle ingénieux de haute voltige est une célébration palpitante de l'impressionnisme français, des femmes noires et de la modernité.
Miss La La, la trapéziste défiant la mort qui a fasciné Edgar Degas

Ecrit par: Paul on September 27, 2024 ||

La National Gallery avait mis le paquet pour célébrer son bicentenaire — mais un cirque à l'ancienne ? Avec des chiens qui dansent, des clowns et des éléphants ? C'est pourtant ce qui vous attendait dans cette exposition ingénieuse et passionnante sur l'impressionnisme français, les femmes noires et la modernité. Elle est fermée depuis le 1ᵉʳ septembre, 2024, dommage pour les retardataires.

En entrant, vous vous attendez à voir des tableaux. En revanche, vous êtes confronté à des affiches de cirques et de spectacles de music-hall, avec des graphismes victoriens en plein essor et une imagerie surréaliste. On y voit notamment deux papillons à visage humain se produire au Cirque d'Hiver, tandis qu'à l'Hippodrome, on assiste à des courses de chars dignes de Ben-Hur. Nous nous représentons le Paris de la fin du XIXe siècle comme celui du cancan et des chansons, de l'absinthe et des bars à miroirs. Mais, le cirque, comme le révèle ce spectacle, était tout aussi essentiel à la ville lumière.

UNe affiche publicitaire de miss La La au folies bergères

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Le plus célèbre de tous étant le Cirque Fernando, où Hilaire-Germain-Edgar Degas a vu l'acrobate Miss La La et a été inspiré pour peindre un chef-d'œuvre vertigineux de cette jeune femme dans l'espace vide, encadrée par des hauteurs orange, vertes et dorées, sans sol en dessous d'elle alors qu'elle se balance à une corde par les dents.

Ce cirque n'était pas installé sous un chapiteau, mais dans un auditorium permanent en forme de dôme qui s'élevait près de Montmartre jusqu'à sa démolition en 1974. Peint de couleurs vives et orné, c'était à la fin du XIXe siècle un monde de possibilités éclairé au gaz, où les gens pouvaient échapper aux contraintes sociales pour entrer dans l'éther de la nouveauté et de la liberté.

C'est du moins l'impression que donne le tableau de Degas Miss La La au Cirque Fernando, dans lequel la voltigeuse héroïque s'élève littéralement hors du monde quotidien grâce à ses dents.

Degas et les femmes, c'est un thème pour une superproduction, mais Degas et les femmes noires ? Je n'avais jamais pensé à la couleur de la peau de Miss La La. Cela s'explique en partie par le fait que Degas joue souvent avec les tons chair, donnant aux personnages des visages gris, bleus ou verts lorsqu'ils apparaissent dans l'ombre ou sous l'éclairage de la scène.

Ici, l'identité raciale de Miss La La est fixée dès le départ, dans la série d'affiches de cirque qui la mettent en évidence. Certaines d'entre elles sont grossièrement racistes. Mais elles suggèrent aussi l'ambivalence. Elle est la star, avec son nom en lumière et des illustrations spectaculaires de ses célèbres exploits. Nous la voyons exécuter sa cascade la plus extrême, encore plus folle que celle que Degas a peinte : suspendue à un trapèze, la tête en bas, un canon accroché à ses dents par une chaîne au moment où il est tiré.

La cascade du canon figure sur une affiche des Folies-Bergère qui se délecte de sa noirceur. Sur une affiche de music-hall anglais, elle et sa partenaire Kaira sont « The Black and White Butterflies » ; Miss La La est une silhouette noire sur fond blanc, sa partenaire blanche sur fond noir.

Des photographies nous font découvrir la véritable femme qui se cache derrière ce numéro de canon. Anna Albertine Olga Brown est née en 1858 dans un village prussien près de la mer Baltique. Sa mère est issue d'une famille rurale allemande, son père est un marchand de bois afro-américain qui est probablement arrivé dans la région de la Baltique en tant que marin.

C'est peut-être l'accent mis par le système scolaire prussien sur la gymnastique qui a nourri le talent de la future Miss La La : elle a quitté la maison pour commencer sa carrière à neuf ans, émerveillant les publics de Dresde et de Vienne, jusqu'à Paris, la ville que Walter Benjamin a appelée « la capitale du 19ᵉ siècle ».

Au cours de l'hiver 1878, Miss La La fait parler d'elle à Paris, son numéro au Cirque Fernando est vu par tout le monde. Degas se joint à la foule soir après soir. Et il entreprend d'enregistrer cette star dans sa gloire dans un tableau sensationnel qui sera dévoilé avec la rapidité d'une nouvelle, sa peinture à peine sèche, lors de la Quatrième exposition impressionniste prévue pour avril 1879.

Suspendu dans la concentration… un croquis pour Miss La La au cirque Fernando

Suspendu dans la concentration… un croquis pour Miss La La au cirque Fernando

Alors que les vieilles affiches bizarres et les photographies défraîchies sont les vestiges d'une époque révolue, le tableau de Degas vous place directement dans le public, regardant en l'air, transi, déconcerté, le tour de force de Miss La La qui défie la mort. Le point de vue radicalement inattendu, l'espace vide et les couleurs légèrement inquiétantes confèrent à ce tableau une immédiateté immersive.

Il faut de la patience pour réaliser quelque chose d'aussi instantané. Dans ses carnets de croquis, Degas, depuis le public, dessine rapidement Mlle La La et est tout aussi attentif à son décor, avec ses colonnes, ses poutres et son vide vertigineux. Degas ne se contente pas d'en donner une impression — il n'est pas impressionniste — mais dessine soigneusement chaque détail et note assidûment les couleurs.

Mais, comment faire pour que Miss La La soit parfaitement réussie ? Degas ne se contente pas d'esquisser rapidement la scène. Il installe un trapèze dans son atelier et la persuade de venir poser. Cette scène devrait être l'une des plus légendaires de l'avant-garde parisienne : la voltigeuse patiemment suspendue par les dents dans l'atelier pendant que l'énigmatique maître impressionniste la dessine. Les résultats sont captivants.

L'un des dessins, intensément coloré au pastel, avec des lignes bleues libres délimitant l'espace, saisit avec force l'attention et la concentration de son visage tourné vers le haut, alors qu'elle tient tant bien que mal la corde entre ses dents.

Le tableau final, réalisé en quatre mois, sera certainement un succès. Mais lorsque l'exposition impressionniste ouvre ses portes ce printemps-là, elle n'attire personne. Au lieu de cela, c'est le tableau de Renoir, beaucoup plus mou, intitulé Acrobates au Cirque Fernande, qui a été acclamé. On peut le voir dans cette exposition : deux jeunes artistes blafards posant timidement, l'un avec une brassée d'oranges.

Degas était en avance de plusieurs décennies sur son temps. Dans son chef-d'œuvre sur le cirque, le geste moderne et brillant consiste à supprimer le public et à libérer Miss La La comme une figure dans un espace vide — contrairement à une esquisse à l'huile dans laquelle il la montre comme une présence plus petite dans une salle bondée. Son œuvre finale la met à part, seule, héroïne du nouveau monde moderne où tout est possible et où personne ne peut garder les pieds sur terre — car la terre a disparu.

Tag(s) :  Analyse

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Nous avons bien reçu notre Hockney hier, il est superbe ! C’est du beau travail, merci aux copistes et à leur talent. Merci également pour l’envoi du cadre, et pour la coupe très intelligente et pratique des 2 plus grandes parties, que je pourrais réassembler et coller très facilement. Bonne journée. (Didier GEHIN – Nathalie FISCHER, Mulhouse, France)
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