Inspiré d'un concert du musicien de jazz Sidney Bechet dans un club de Montparnasse, Les Musiciens est l'une des œuvres les plus spécifiques de de Staël en termes d'inspiration, qui s'étend même au titre de la première version : Les Musiciens, en mémoire de Sidney Bechet, 1953. Le marchand de de Staël, Paul Rosenberg, était tellement épris de ce tableau qu'il a convaincu l'artiste de peindre l'œuvre qui se trouve aujourd'hui chez Phillips. Bien que la disposition de la composition soit presque identique dans les deux tableaux, l'intensité des couleurs varie. Dans le tableau de Phillips, de Staël a ajouté en dernière couche de nombreuses nuances subtiles de gris sur les mêmes teintes rouge-orange, bleu et bleu marine brillantes qu'il a utilisées dans la première version. Cela est évident, par exemple, dans l'instrument à vent tenu par le musicien de gauche, ainsi que dans les corps et les visages des musiciens au centre. De plus, les zones intenses de rouge et de jaune derrière les personnages de la première version ont été remplacées par des tons d'orange et de jaune. L'effet d'ensemble est plus discret, plus doux.
Ce n'est pas la seule fois que de Staël s'est inspiré de la musique. Il fréquentait les concerts et écoutait de la musique en peignant. Après un concert mémorable, il déclara : « Horowitz hier soir... quel phénomène incroyable : à un moment donné, j'ai cru que le piano allait toucher le plafond. » Et deux jours seulement avant sa mort, il se rendit à Paris pour assister à des concerts de compositions d'Anton Webern et d'Arnold Schönberg, qui inspirèrent les œuvres ultérieures de de Staël, où l'accent est mis uniquement sur la musique et les instruments, et non sur les interprètes.
C'est au milieu de l'année 1952 que de Staël commença à s'orienter vers une palette chromatique plus intense et à choisir des sujets plus étroitement liés à leurs sources dans le monde visible. Sa nouvelle palette et la spécificité de ses sujets sont nées de sa visite en mars à un match de football au Parc des Princes. « Entre ciel et terre, sur une pelouse tantôt rouge, tantôt bleue, écrit-il au poète René Char, tourbillonne une tonne de muscles dans un mépris total d'eux-mêmes avec, contre toutes les sensibilités, un grand sens de la présence. Quelle joie ! René, quelle joie ! » La lumière méditerranéenne était une autre source pour les intérêts chromatiques naissants de de Staël. À l'été 1952, il revisita le sud de la France pour la première fois depuis sa jeunesse. « La lumière ici est tout simplement éblouissante », écrivit-il à Jacques Dubourg, ajoutant dans une autre lettre : « Je consomme la couleur en quantité ». Ce même mois, il écrivait : « À force de se brûler la rétine sur le « bleu éclatant », comme le dit Char, on finit par voir la mer rouge et le sable violet. » Phillips appréciait cet aspect de Musiciens, déclarant qu'il ressemblait à « une scène de rue brillante avec la bande bleue ombragée jouant de ses instruments sous un dais ensoleillé d'orange et de jaune... ».
Musiciens conserve le style épais et incrusté caractéristique des œuvres précédentes de de Staël, telles que Fugue et Le Parc de Sceaux. Comme le note Eliza Rathbone : « La rugosité et la physicalité intense de la surface peinte témoignent d'un sentiment tangible de l'implication de l'artiste avec autant d'immédiateté que le geste... » Mais en termes de couleur, Musiciens annonce ses dernières œuvres, peintes avec fluidité et d'une intensité chromatique.
